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“Sharon Eyal / Mats Ek” : une vitalité explosive chez deux grands chorégraphes

Hélène Kuttner 1 avril 2025
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© Agathe Poupeney

À l’Opéra de Paris, Sharon Eyal et Mats Ek présentent chacun une œuvre bouleversante où la vitalité, la fébrilité des corps révèle le difficile ajustement des relations d’amour et de domination. Les danseurs du corps de ballet de l’Opéra démontrent une fois encore leur talent et leur immense virtuosité à se fondre dans des univers contemporains, avec une technique complexe, qui multiplie les influences. Une soirée épatante.

Corps désirables, corps désirants

©Yonathan-Kellerman

Le spectacle débute par Vers la mort, que la chorégraphe israélienne Sharon Eyal a créé pour les danseurs à partir de OCD Love, un ballet conçu en 2015. Neuf interprètes, cinq danseuses et quatre danseurs, se fondent dans un univers glacé, poudré de rose pastel et envahi de rouge. Dans ce bain de lumière digitale, signé Thierry Dreyfus, tantôt douce, tantôt cruelle, une femme prend la pose, se contorsionne et ondule comme une sirène, le corps moulé dans un body souplement corseté. Qui appelle-t-elle ? Que cherche-t-elle ? Animale, la jeune danseuse Nine Seropian, dans la seconde distribution, fait preuve d’un art impressionnant pour l’expressivité plastique. Son charisme est animal. Un homme déboule, glisse autour de la femme, sans qu’il y ait de contact entre eux. Puis une autre femme, plus frêle et saisie de convulsions, comme si elle sortait du ventre de la terre, lui renvoie un miroir d’elle-même. 

©Yonathan-Kellerman

La musique entêtante de Ori Lichtik, qui fait claquer le bruit d’un métronome, avant de propulser des vagues de violons obsédants, enveloppe les corps dans un sentiment de répétition éternelle. Sensuels et stériles à la fois, amoureux et libertins, épris de révolte, les corps magnétiques  des danseurs s’emballent soudain dans une transe magnétique qui balaie tout sur son passage. Les poitrines se contractent, les dos de ploient, les bras attaquent, et c’est une tribu androgyne, d’une puissance peu commune, qui part sauvagement à l’assaut du monde avec une vitalité inédite. Uniques et ensemble à la fois, hommes et femmes. On est secoué, scotché par cette puissance.

Une explosion de fantaisie et de théâtralité

©Agathe-Poupeney-

Après l’entracte, le Suédois Mats Ek nous revient avec Appartement, une œuvre créée il y a vingt cinq ans pour l’Opéra de Paris, où le théâtre, les paroles, et la vitesse de circulation expriment la multiplicité des solitudes dans la rue, la difficulté de communiquer dans un couple, l’atomisation des personnalités dans la vie citadine et marchande qui morcelle nos vies. Devant le rideau de scène, un bidet est posé au centre de la scène. C’est celui de Marcel Duchamp, oeuvre d’art et d’hygiène que s’approprie une héroïne, incarnée par Roxane Stojanov, grande fille aux contorsions burlesques et gorgées d’humour. Le burlesque du théâtre et du cinéma n’est jamais loin chez Mats Ek, toujours lié au drame de l’existence. La toute nouvelle danseuse étoile, nommée en fin d’année dernière pour sa prestation dans Paquita, possède une énergie et une expressivité remarquables qu’elle déploiera avec ses camarades dans les tableaux suivants, la Valse et la fameuse Marche des aspirateurs. 

©Agathe-Poupeney-

Le spectacle déroule son lot de saynètes cocasses avec des personnages vêtus en couleurs vives, adoptant des gestes alertes, de grande amplitude, déliés, sur une bande son jazzy et entraînante. Hugo Vigliotti est le doux rêveur félin et râleur qui s’endort devant son poste de télévision. Dans leur cuisine, Léonore Baulac et Alexandre Gasse s’aiment et s’agacent à la fois tandis que fume le four ; des grappes de garçons, Francesco Mura, Axel Ibot, Milo Avêque, Takeru Coste s’amusent, s’épient et se draguent bruyamment sur le trottoir, tandis que devant et derrière une porte, Lucie Devignes et Florent Melac nous offrent un délicieux pas de deux amoureux, d’une renversante sensualité. Après le Duo des embryons, et la Marche des aspirateurs, dont les femmes souhaitent se libérer, le Fleshquartet, avec ses instruments mi-classiques mi rock, donne superbement du son et du rythme. Tous sont à la fête, les jeunes gens sont joyeux et leur gestuelle large et explosive. Avec ce second opus, la soirée se termine royalement, dans une dynamique enthousiasmante qui nous emballe totalement. Bravo !

Hélène Kuttner 

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